Le
Nouvel Observateur "Paris-Ile-de-France"
du 6 au 12 juin 2002

La
Ford roule à toute blinde.
Villejuif défile : école Karl-Marx, boulevard Maxime-Gorki, avenue
de Stalingrad; barres déglinguées, gazons à l’abandon,
chantiers désertés... Moins vite, chauffeur, cette ville a le cœur
fragile, c’est la doyenne de la banlieue rouge, communiste depuis
1925. Lime ralentit.
Au volant , il fredonne la bande-son lancinante de
«Paris, Texas», le film-culte de Wim Wenders sur les trop-pleins
urbains. «Doïïïïïïïng, doïïïïïïïïïng.»
C’est Lime Wenders sur la route nationale7. Il lève la tête. Il
observe. Des casses d’autos décorent le bas-côté sur plusieurs
kilomètres, des véhicules désossés remplissent le paysage à
perte de vue. Il semble désolé, Lime, devant cet «égout à
bagnoles». «Nationale7, route des vacances, fait la
chanson de Trenet. L’amour joyeux est là qui fait risette / On
est heureux nationale 7.»
Belle Epine , le centre commercial. Son parking
surplombe la ville. Du haut de la rambarde, le panorama crève le
regard: une armée de pylônes électriques, un Bricorama, trois échangeurs
autoroutiers. « On n’est pas bien là?, demande Lime.
On est sur le toit du monde, mon vieux. Regarde, écoute...»
Ciel strié par les lignes à haute tension, beau temps, et jingle
du parking. Ça fait: «Bienvenue à Belle Epine, nos commerçants
sont ouverts de...» Lime respire un grand coup, bucolique comme
une pub pour camembert, et lâche: «Ah vraiment, c’est dommage
qu’il ne pleuve pas...»
Lime n’aime pas Villejuif, ce n’est pas un
secret. Il a acheté ce pavillon rose dans cette allée résidentielle,
faute de mieux. Les premiers temps, il a photographié les
alentours: l’hôpital Paul-Brousse, spécialisé dans les malades
du cancer, le cimetière Parisien de Thiais, 3600 tombes. «J’ai
vite arrêté, dit-il, c’était trop cafardeux. Pour esthétiser
l’insignifiance de la banlieue sud, il faut être Wenders, au
moins.»
Quand il vivait à Paris , Lime n’écrivait pas.
Il jouait, comique appointé du «Théâtre de Bouvard». C’étaient
les années 1980, Antenne2, 10millions de téléspectateurs
quotidiens, 70000 francs par mois, l’Alfa Romeo «payée cash»,
l’appart à Montmartre, les partouzes dans la vallée de
Chevreuse. Et les flics qui le saluaient, «Monsieur Lime»,
quand il remontait les grandes avenues parisiennes en sens interdit:
«On vous escorte?»
En banlieue, Lime s’est découvert écrivain. Il
signe de beaux romans, des romans d’aventures. Qui le promènent
dans le Pacifique, à cent coudées de son potager. Villejuif ne
l’inspire pas. «Ici, dit-il, l’œil ne s’accroche
à rien, il glisse. Fermer les yeux devient plus facile, écrire
aussi. Le seul obstacle au regard, c’est la télévision. A chaque
fois qu’un Villejuifois allume son poste, c’est une œuvre qui
part en fumée.» Villejuif brûle.
Olivier Bouchara

Elle
- 4 mars 2002
RAYON
"AVENTURE QUAND TU NOUS TIENS !"
Jean-Hugues
Lime avoue ! Tu as mentalement couché avec Tournier, Golking et
Klaus Kinski pour accoucher de cette fresque insulaire pleine de
bruit et de fureur ! Il y a un peu d'eux, en effet, dans ce
"Roi de Clipperton", un anti-robinson-Crusoé trash et
gore, où des militaires colonisent une île vierge avec armes et épouses,
avant d'y perdre, abandonnés par leur commanditaire, toute notion
du bien et du mal.

Figaro
Magazine - mars 2002...
Le
roi de Clipperton de JH LIME. Il fallait bien qu'un jour un
romancier se penchât sur Clipperton, un nom pour mots croisés,
aujourd'hui, plus petite possession française, îlot perdu au large
du Mexique, peuplé seulement d'oiseaux et de crabes, connu des
scientifiques et de nos marins de la Royale. Fait historique : en
1905, dépêché par Mexico, le capitaine Ramon Arnaud y débarque
à la tête d'une mince escouade de soldats accompagnés de leurs
femmes et de quelques enfants, avec pour mission d'empêcher que des
puissances étrangères ne fasse main-basse sur la seule richesse de
cette terre maudite : le guano, engrais miracle. Une île de
fiente ! Pas au trésor. Arnaud aurait du se méfier. Douze ans plus
tard, un bâtiment de la marine américaine récupérera une poignée
de zombies, uniquement des femmes et des enfants dépenaillés,
effrayés abandonnés par le Mexique en proie aux révolutions et
revenus contre leur gré à l'état sauvage. ce sont ces douze années
de décomposition humaine de Désert des Tartres à la sauce
Pacifique où il ne se passe rien que le cri des sternes ou la
mastication des crabes, le ballet des pluies tropicales, les ronds
menaçants des ailerons de requins, geôliers de cette île -prison,
une symphonie du délétère que nous décrit magistralement
Jean-Hugues Lime. Robinson Crusoe à rebours, fable sur la déliquescence
humaine. Le roi de Clipperton n'est pas le capitaine, un temps,
croyait l'être mais un matelot devenu ogre. Un reportage, un roman,
un conte et un hymne discret à la gloire des femmes
Philippe
Dufay

Le
Canard Enchaîné - 6 mars 2002
Français,
qui ignorez encore l'existence de Clipperton, oyez la véridique et
tragique histoire du capitaine mexicain Ramon Arnaud et de sa
garnison, débarqué en 1910 sur cet îlot du pacifique pour veiller
à l'exploitation du guano. Oubliés par leur pays natal pour cause
de révolution zapatiste en 1911, ces quarante-cinq humains vécurent
- femmes et enfants compris - l'aventure de Robinson Crusoé mais à
l'envers : retour de la civilisation à l'état de nature !
Officier
borné, Ramon Arnaud joua au désert des Tartares, avec pour
seul ennemi l'armée des crabes et des requins-marteaux. Marteaux,
ils le devinrent à peu près tous, en particulier un dénommé
Alvarez qui se proclama "Roi de Clipperton", doté d'un
harem de femmes minées par le scorbut. Sept ans de folie !
L'histoire
est fameuse au Mexique, elle l'est moins dans notre France, qui en
1931, grâce à une acrobatie diplomatique, arracha Clipperton au
Mexique. Oui malgré Ramon Arnaud, une terre française !
Dans
ce roman historique haletant et fort bien écrit, Jean-Hugues Lime
nous mène aux lisières de la civilisation, dans la douce compagnie
des "maringouins, moustiques, mouches à dagues, chiques"
sans oublier sarcoptes, poux d'agoutis, fourmis-manioc, araignées
des cocotiers et autres scolopendres.
A
l'ombre des drapeaux et au son du clairon, du guano tant qu'il en
faut.
Frédéric Pagès
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